Quand
eut lieu l'attaque allemande en 1940, les divisions blindées
françaises existaient surtout sur le papier. Elles
étaient sous-entraînées, sous-équipées
et elles furent au surplus immédiatement éparpillées
en petits paquets, pour boucher les trous là où
ils s'en produisaient. Les panzers n'eurent pas de peine
à disperser ces petites formations au cours de leur
percée dans le nord de la France, au-delà
de la Meuse; mais, le 17 mai, leur avance avait été
si rapide que le haut commandement allemand crut bon de
leur ordonner une pause. C'est à ce moment précis
que De Gaulle reçut l'ordre de couper la pointe allemande
de ses bases.
De Gaulle devait attaquer en direction du nord, tandis que
de l'autre côté de l'avancée allemande,
une autre force blindée ferait mouvement vers le
sud. Dès le départ, le plan se révéla
trop ambitieux. Les prétendues forces blindées
au nord ne se manifestèrent pas et, au sud, l'offensive
ne dépassa pas l'ampleur d'une manifestation sans
effet. L'attaque éclair des Allemands bouleversa
complètement le mode de pensée de l'état-major
français, qui sombra dans le défaitisme. Certaines
unités de l'armée française, comme
l'infanterie coloniale ou les chasseurs alpins, sans doute
ne subirent pas cette contagion, laquelle, semble-t-il,
avait gagné les hommes de De Gaulle.
Il avait pris le commandement de la quatrième division
blindée, qui était en quelque sorte une division
fantôme. Quand il arriva à son poste, De Gaulle
ne trouva u'une esquisse d'unités de chars, un embryon
d'état-major et un ramassis de soldats démoralisés,
encombrés de réfugiés. Gisant contre
mauvaise fortune bon coeur, il décida de lancer une
attaque en direction de Moncornet, situé à
32 km à l'intérieur des lignes allemandes,
telles qu'elles venaient de s'établir alors.
En vue de cette attaque, il ne parvint à rassembler
que trois bataillons de chars, dont deux étaient
composés de petits chars Renault R 35, ayant pour
armement un canon de 37 mm court. Seul le troisième
bataillon, avait une compagnie d'excellents chars D-2, les
deux autres compagnies disposaient de blindés armés
de canons de 37 mm longs, mais elles avaient été
récemment formées et n'avaient reçu
aucun entraînement valable.
Un
bataillon d'infanterie, transporté dans des autobus
réquisitionnés, s'ajoutait aux chars, mais
il manquait totalement d'appui aérien, d'artillerie
et de DCA.
Ainsi nanti, De Gaulle s'élança le 17 mai,
se frayant un passage parmi les colonnes de réfugiés
affolés. Les chars français rencontrèrent
sur leur chemin une faible résistance et culbutèrent
une unité de reconnaissance allemande par surprise,
dans le village de Chivres, au cours d'un vif et bref engagement,
auquel prirent part les mitrailleuses et les canons des
chars. Peu après, une colonne de camions B allemands
fut incendiée de façon spectaculaire. De Gaulle
se trouvait non loin du petit village de Moncornet.
Il ignorait que là se trouvait l'état-major
de la première division du 19e corps blindé
ennemi. L'arrivée des chars français avait
causé un commencement de panique dans cette zone
d'arrière-front qui ne s'y attendait absolument pas.
Mais il s'écoula peu de temps avant que des officiers
allemands pleins d'allant ne reprennent les choses bien
en main, l'un d'eux prit le commandement de quelques chars
sortis d'un atelier de réparation de campagne et
les lança sur les attaquants français, qui
ne s'attendaient pas à pareille riposte. De leur
côté, des canons antiaériens allemands
ouvrirent le feu sur les Français et quelques canons
antichars prirent position. Bientôt, nombre de chars
français furent en flammes et les unités d'infanterie
d'accompagnement arrachées à leurs autobus
et mises en fuite, à moins qu'elles n'aient fait
demi-tour sans avoir pris contact. Les canons allemands
automoteurs se mirent de la partie et les chars français
trouvèrent plus simple de retourner à leur
point de départ; ils furent sans cesse harcelés
par les avions en piqué Stukas omniprésents,
et tout le long de leur chemin de retour attaqués
de flanc par les unités allemandes de passage.
Au mieux, l'attaque
dirigée par De Gaulle sur Moncornet peut être
considérée comme un raid de blindés.
Elle ne ressemble en rien à une entreprise capable
de couper la pointe allemande de ses bases. Non seulement
elle n'a pas été à la hauteur des objectifs
prévus par le nombre et le soutien, aussi bien de
l'infanterie que de l'aviation et de l'artillerie, mais
elle n'a pas reçu l'aide de l'attaque prévue
au nord, qui ne se concrétisa pas. Elle n'a été
pour les Allemands qu'un ennui local et passager, qui ne
les a pas distraits de leur marche stratégique vers
la Manche. Malgré cela et malgré l'échec
cuisant que fut en réalité l'affaire Moncornet,
elle prit dans la légende du général
français une importance hors de proportion et sans
rapport avec la réalité.
Ce fut aussi le cas d'un raid du même genre entrepris
quelques jours plus tard en direction de Laon. Celui-là
fut lancé dans les mêmes conditions, sans soutien
tactique et sans but précis. Cela n'a pas empêché
certains enthousiastes de considérer ces opérations
sans éclat comme une rencontre de deux génies
militaires, De Gaulle et Guderian.
En fait, Guderian
ne prit aucune part dans les deux ripostes allemandes, qui
restèrent des réactions locales; elles furent
l'affaire de ses subordonnés.
Pourtant, les deux tentatives de De Gaulle ont donné
à beaucoup l'impression d'avoir constitué
au moins un effort pour tenir tête à un ennemi
qui se montrait invincible et un geste de défi à
l'égard de l'armée française, qui se
sentait battue avant même que la France n'ait été
envahie.